Il est toujours surprenant de retrouver des choses familières lorsqu’on voyage à l’autre bout du monde. Aussi éloigné soit-il – géographiquement et culturellement – le Japon ne fait pas exception à la règle. Si d’aventure vous vous rendez à Tokyo en novembre, vous serez certainement très surpris qu’on y célèbre…l’arrivée du Beaujolais nouveau ! En effet, le vin nouveau hexagonal est très prisé là-bas. Des cargaisons entières sont acheminées par avion-cargo Air France spécialement affrétés pour l’occasion. Profitant du décalage horaire, les Japonais sont donc les premiers à découvrir et en exclusivité mondiale, le nouveau millésime du Beaujolais nouveau. Le Japon en est d’ailleurs le premier pays importateur, loin devant les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et la Suisse. Vendu autour de 16 euros la bouteille (deux fois le prix qu’en France), l’opération Beaujolais est une bonne affaire pour la France ! Bien entendu, les coûts de transport et de distribution sont à prendre en considération mais il n’empêche…
Les raisons de cet engouement sont multiples mais finalement assez simples à comprendre. D’abord, le Beaujolais nouveau étant assez fruité et léger, il convient très bien aux Japonais qui n’ont pas « la culture du vin » (consommation de 3 litres par an et par habitant en moyenne, contre plus de 50 pour la France…). Par « culture du vin », j’entends par là une certaine habitude pour commencer à apprécier le vin et pouvoir oser se prononcer sur sa qualité. Dans le cas du Beaujolais au Japon, c’est bien le haut de gamme qui est importé – le prix de vente n’étant pas vraiment un obstacle pour le consommateur nippon – les meilleurs crus sont sélectionnés et naturellement, le résultat n’est donc jamais décevant. Ensuite, le Japonais aime « la temporalité » du Beaujolais qui à grand renfort d’opérations marketing et d’événements programmés (Fête du vin, mise en avant dans les supermarchés, restaurants, bars ou boîtes de nuit…), rythme l’année en ayant su trouver sa propre place entre Halloween et Noël. Enfin, le Beaujolais constitue d’après moi, un objet culturel français qui vient nourrir – ou abreuver – un peu plus l’imaginaire japonais de la France vue comme le pays de la célébration permanente de « l’art de vivre à la française », un vecteur de convivialité retrouvée, « un petit bout de France » aux arômes marqués de cassis, framboise ou autres subtilités gustatives en fonction des années et du libellé de l’étiquette…
N’oublions pas que le Japon a depuis de très longues années su accueillir les plus grands noms de la cuisine française : Paul Bocuse (dès 1979) puis Joël Robuchon ou Thierry Marx ont tous essaimé leurs restaurants à Tokyo ou dans les grandes villes du Japon. J’ai eu par exemple pour étudiant des jeunes qui fréquentaient la célèbre école culinaire « Le Cordon bleu », des pâtissiers, des sommeliers et même un fromager ! Le niveau de vie japonais et l’inclination naturelle de tout ce qui touche à la France, garantissant presque toujours le succès de ces restaurants d’exception. Une nouvelle génération de chefs japonais formés en France ouvre eux aussi leur « restaurant français » de retour dans l’archipel et pour y être allé – poussé par un sens aigu du devoir de témoigner – j’ai souvent trouvé une haute qualité des spécialités proposées. Oui, en cherchant bien, vous pourrez trouver de quoi consoler votre nostalgie de la lointaine France et combler vos envies soudaines de cassoulet, choucroute, quenelles ou escargots !
Dans l’autre sens, on notera le très grand rayonnement culinaire du Japon dans le monde avec bien sûr comme fer-de-lance, l’irréprochable sushi qui je l’espère – sans trop y croire – arrivera un jour à supplanter le très discutable hamburger dans sa version fast-food. Petit test pour finir : avez-vous déjà entendu parler de ShinyaTasaki et Kei Kobayashi ? Ils ont pourtant reçu le titre de meilleur sommelier du monde en 1995 pour le premier et trois étoiles Michelin pour le restaurant du second à Paris en 2020… Non, le Japon ne « se limite pas » pas à Toyota, Nissan ou Sony !
Par Nicolas Ducatel, formateur chez Supercomm Group