La pandémie mondiale dont nous sortons à peine*, a bouleversé nos habitudes dans bien des domaines. Nous avons dû aussi adapter nos pratiques d’enseignement et d’apprentissage.
Comme à tout un chacun, la situation sanitaire s’est imposée aux enseignants qui se sont demandé comment ils allaient bien pouvoir faire classe… en l’absence de leurs apprenants ! La même question, transposée au monde des entreprises s’est posée, de la multinationale à la micro-entreprise vis-à-vis de leurs clients et partenaires soudain évaporés… Heureusement, nous étions pour la plupart déjà munis d’un ordinateur s’avérant être l’outil indispensable pour affronter cette situation inédite.
En résumant à l’extrême, je peux dire qu’après quelques tâtonnements… les pratiques se sont rôdées et le cours en ligne s’est finalement généralisé au dépend du cours en présentiel lorsque celui-ci n’était plus possible. Passons sur les aspects techniques de la question – connexions instables, réseaux saturés à certains moments de la journée – qui ont mis nos nerfs à l’épreuve et entamé notre foi aveugle dans le progrès technique ! La qualité ou l’existence même d’un ordinateur dans certains foyers et la plus ou moins grande aisance des utilisateurs sont venues compléter le tableau. Mais ce qui m’intéresse ici est d’essayer de voir les différences entre ces deux types d’enseignement. Comment expliquer en effet, ce ressenti si différent à l’issue d’un cours donné en présentiel et en distanciel ?
Il est évident que l’enseignement à distance nous coupe de la dimension physique, de la proximité de l’autre et de la réalité qui nous entoure. On sait depuis longtemps d’ailleurs que l’occupation de l’espace, la perception des objets à proximité, leur désignation naturelle : « ceci est une table, cela est une chaise… » facilite grandement la tâche de l’enseignant. De même que pour les apprenants, la présence de l’autre en classe semble être une évidence. J’ai connu une enseignante qui – disciple de Montessori (?) – était toujours munie d’une « valise pédagogique » constituée du kit complet permettant de « jouer à la marchande » avec fruits et légumes en plastique, pièces et billets de banque de type Monopoly… des échantillons de tissus de différentes couleurs et textures pour aborder le cas échéant le champ lexical des couleurs et des matières… Je ne pense pas qu’elle y recourait systématiquement – on se lasse de tout – mais cela lui permettait certainement de proposer des activités dynamiques en rapport avec le thème étudié le cas échéant.
Le fait d’être « ensemble, ici et maintenant » donne du sens à ce que nous faisons. Cela est d’autant plus important en cours de langue où la plupart des énoncés étudiés se rattachent à une réalité qu’il revient aux formateurs d’expliciter le mieux possible. Et même si les jeux en ligne existent… toute dimension sensorielle semble impossible ou très limitée. Il faut cependant suivre avec intérêt le développement des outils dits de « réalité augmentée » ou de « réalité virtuelle » qui commencent à se répandre, la création d’avatars ou d’hologrammes permettant d’être ici et là au même instant… Mais plus prosaïquement, il me semble qu’entre deux êtres humains, il se crée une certaine tension psychologique pour ne pas dire une alchimie, lorsqu’on rencontre quelqu’un « en vrai ». Cette tension peut et devrait être positive d’ailleurs, c’est en général l’intention initiale lorsque l’on rencontre son prochain ! Et même si hélas, tout ne se passe pas toujours au mieux ! Qui n’a jamais eu dans son parcours scolaire le souvenir d’un professeur avec qui justement le courant ne passait pas, rendant l’apprentissage d’une matière plus compliquée ? Bien sûr, une personne à l’écran dégage aussi une impression mais celle-ci reste fugitive. L’ordinateur me semble faire tampon entre les interlocuteurs et « l’effet émotionnel » positif ou négatif comme atténué.
Bien sûr, il faut saluer l’aspect « magique » des technologies de l’information et je viens de le dire « la réalité virtuelle » ouvre un monde fascinant. Il faut reconnaître la très grande souplesse d’utilisation de l’outil informatique dans l’enseignement : tous les supports possibles sont à portée de clic : textes, photos, vidéos et sons exploitables à loisir. Un texte peut être « charcuté » et rendu plus digeste ! Une phrase soulignée, illustrée, explicitée… comme jamais ! L’ensemble des documents travaillés « en classe » sont conservés, envoyés, dupliqués, corrigés, reconfigurés… Les possibilités sont infinies. J’ai remarqué aussi une très grande attention demandée aux participants lors d’un cours en ligne : un effort continu étant nécessaire pour garder en alerte cet unique canal audio-visuel reliant les interlocuteurs par écran interposé. Une certaine saturation nous guette et le niveau d’attention baisse beaucoup plus rapidement qu’en présentiel… il faut en tenir compte dans la programmation des séances. Enfin, l’enseignement en ligne évite bien entendu tout déplacement superflu, tout se faisant depuis un lieu librement choisi. Mais là encore, il ne faut pas aller trop vite en besogne et conclure à la hâte au miracle du « tout-fait-maison-en-pantoufles » : l’open-space ou la salle de classe parachutée sur la table de la cuisine… a ses limites !
Sur le plan international, il est intéressant de constater que tous les pays ne partent pas du même point en matière d’enseignement virtuel. Dans certaines régions du Canada par exemple, le télé-enseignement existe depuis longtemps car c’est le seul moyen de poursuivre la classe quand les conditions climatiques et l’immensité du pays rendent les déplacements très difficiles les longs mois d’hiver en particulier. En Estonie, ce n’est pas l’étendue géographique mais plutôt la volonté politique qui explique le développement du distanciel quand on sait que 90% des services publics sont en ligne ! Le monde anglo-saxons ou l’Asie ont depuis plus longtemps que l’Europe cette appétence pour l’ordinateur : TBI (tableau blanc interactif), classes connectées et jusqu’à l’iPad de rigueur dans le cartable des élèves des écoles internationales de Genève… ! Ce n’est pas notre sujet mais on peut espérer que l’outil informatique ne soit plus seulement un outil d’exclusion de plus par son coût et sa maîtrise mais soit vu aussi comme un outil de cohésion, une solution adaptée pour toucher des enfants éloignés géographiquement ou socialement de l’école (régions isolées, milieux défavorisés). La réflexion sur l’enseignement numérique qui ne date pas d’hier – première MLW (Mobile Learning Week) de l’UNESCO en 2011 – a simplement été remise au goût du jour à la faveur de la crise sanitaire. La réflexion se poursuivra-t-elle une fois la crise passée ? Un plan d’action à grande échelle sera-t-il élaboré ? C’est toute la question…en attendant la prochaine crise… !
Un juste compromis entre présentiel/distanciel semble se dessiner dans la communication du monde post-Covid* et ce à tous les niveaux : écoles, entreprises, individus. Oui, certains cours du niveau supérieur peuvent être suivis en ligne ; oui, une visio-conférence peut éviter de fastidieux déplacements (coûteux et polluants), c’est une évidence … mais les véritables rapports humains ne peuvent se faire qu’en présence de l’autre et moins par écrans interposés … me semble-t-il. Quant à l’école, sa fonction doit être redite clairement – certains parents l’ont un peu oublié pendant la pandémie – l’école n’est ni une garderie ni un simple déversoir de connaissances… L’école est à la fois le lieu et le moyen pour apprendre à vivre en société. C’est au contact des autres que l’on peut véritablement apprendre à se connaître, mieux se comprendre et se respecter. Notre monde à la fois connecté et interdépendant doit s’en rappeler. Seule la classe « réelle » permet une véritable rencontre.
* En mars 2022, les contaminations au Covid-19 repartent à la hausse en Asie et en Océanie…
Écrit par Nicolas Ducatel, formateur Supercomm