C’est en 2007 que la Suisse a commencé à réfléchir à la mise en place d’une politique linguistique à destination des étrangers sur son territoire. Le test fide (acronyme de « Français, Italiano, Deutsch en Suisse ») est né de cette réflexion. Le principe est simple : tout étranger résidant en Suisse de façon durable doit prouver la maîtrise d’une des trois langues de la Confédération en fonction de sa zone de résidence (le français pour la Suisse romande, l’italien pour les cantons italophones, et l’allemand pour la partie alémanique). Concrètement, une évaluation linguistique sera faite au moment de la demande – ou du renouvellement – du permis de résidence. Si la mesure semble être frappée au coin du bon sens : « parler la langue du pays où l’on vit », elle peut être perçue comme autoritaire voire anxiogène au futur candidat. Et dire que certains pensaient pouvoir couler des jours heureux en Suisse, se contentant encore longtemps des standards universels : « a beer please ! » et « where is the bathroom ? » dans l’ordre chronologique des besoins vitaux ! On ne peut que saluer cette initiative qui incite les personnes à mieux communiquer au quotidien facilitant ainsi leur bien-être et leur intégration dans leur milieu de résidence… et facilitant l’obtention d’un emploi qualifié si tel est leur objectif.

Pour autant, le test fide ne vise pas à former des cohortes de « citoyens érudits polyglottes »   et le niveau requis est à la portée de tous me semble-t-il. Résumé en termes techniques arides, je vous invite à glisser à vos amis ébahis lors de votre prochain cocktail que : « le test fide est bien adossé au CECR » !

Il l’est en effet.  Le CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues) remonte aux années 90 et peut se résumer à un référentiel établi par les institutions européennes décrivant les différents niveaux de langue. La création d’un tel document est intéressante, car elle s’inscrit dans la dynamique européenne de « la libre circulation des personnes et des idées à travers l’espace européen » qui avait besoin de créer un outil commun de référence pour évaluer les langues. Pour faire simple, on aborde une langue en tant que débutant (niveau A0-A1 débutant), pour ensuite passer au niveau A2, puis intermédiaire (B1 pré-intermédiaire-B2 intermédiaire) avant d’attaquer le niveau avancé (C1) ou expert (C2). Il est bien évident que le passage d’un niveau à l’autre nécessite des centaines d’heures d’étude – 150 heures entre A1 et A2 par exemple –   en fonction des niveaux envisagés, des aptitudes individuelles et de la plus ou moins grande proximité entre langue maternelle de départ et langue-cible. En tant que francophone, je devrais vraisemblablement avoir moins de difficulté à apprendre l’italien ou l’espagnol que le hongrois… Pour chaque niveau, il existe des descripteurs précis qui répertorient différentes compétences d’un locuteur. Cette grille d’évaluation permet surtout – et c’est là son grand mérite – de servir de base commune à tous, offrir une sorte de regard standardisé sur les langues. D’ailleurs, la majorité des manuels sont désormais estampillés « A1 », « A2 » …et les certifications de langues (DELF-DALF* pour le français) sont « calibrés » sur la base de cette grille commune. Chose intéressante, le CECR sous forme de livre a été traduit en 40 langues y compris la langue des signes ! Je peux bien entendu « maîtriser » plusieurs langues étrangères mais à des niveaux différents : anglais C1, espagnol B1 et on y reviendra plus loin, être meilleur à l’écrit ou à l’oral pour chacune d’entre elle. On évite en général de préciser son propre niveau « en langue maternelle » celle-ci étant par définition « hors-catégorie ». L’examen DELF-DALF par exemple, est réservé exclusivement aux candidats non-francophones : Ouf !

Très judicieusement, le test fide a défini un certain nombre de scénarios calquant des situations de la vie quotidienne en Suisse (logement, santé, achats…) et nécessitant l’accomplissement d’une tâche à résoudre (« contacter la régie », « échanger avec le médecin », « régler ses achats » …). Logiquement, le test fide se « limitera » donc aux niveaux A1-A2 et B1 maximum en termes d’exigence et l’accent sera mis sur l’oral : le niveau A2 permettant déjà de se débrouiller au quotidien. Le B1 visera la correction de l’expression et une meilleure maîtrise des codes de l’écrit, ce qui peut s’avérer déterminant dès que l’on est en recherche d’emploi. Rien n’empêche quiconque de poursuivre vers des niveaux supérieurs – « the sky is the limit » – et les formateurs seront ravis de vous accompagner vers les sommets… mais cela ne fera plus partie de l’obligation légale fide dont nous parlons. Pour vous donner un repère, le niveau B2 demandé en France à toute personne voulant s’inscrire à l’université, sous-entend qu’une personne puisse suivre des cours, rédiger un mémoire, lire des ouvrages en français et en rendre compte à l’oral ou à l’écrit… On mesure mieux l’ampleur de la tâche qui attend les candidats étrangers !  En vingt ans de carrière, je peux compter sur les doigts de la main les apprenants de niveau C2 ayant croisé ma route… Il s’agissait de scientifiques, juristes ou doctorants. On doit se représenter la population des apprenants comme une pyramide avec une large base A0-A1 et se rétrécissant peu à peu A2, B1-B2-C1 jusqu’à une pointe C2 tout en haut de l’édifice. L’illustration claire d’une sorte de « Darwinisme appliqué à l’apprentissage des langues » ! Nuançons le constat par le fait que toute personne abordant une langue ne vise pas nécessairement la maîtrise de l’intégralité de l’échelle (A1 à C2). On l’a dit, des « niveaux inférieurs » sont largement suffisants pour le commun des mortels… et c’est tant mieux !

Je finirai par un point essentiel autour de la maîtrise d’une langue. La compétence linguistique se découpe en quatre parties. Une première division « oral/écrit » recoupant une deuxième, « production/compréhension ». En d’autres termes, on doit pouvoir « produire une langue » : parler ou écrire et « comprendre une langue » : écouter ou lire. Si les grilles d’évaluation s’attachent à ce cadre strict, la réalité montre que les individus ont toujours des compétences inégales dans chacune des parties. Je me souviendrai toujours d’un candidat à la naturalisation pour l’obtention de la nationalité française et pour lequel le niveau B1 était exigé… établi avec sa famille et travaillant en France depuis des années, il pouvait converser « comme vous et moi » et comprendre parfaitement… il avait déjà plus de difficulté à lire mais s’avérait incapable d’écrire plus de deux lignes… ! Ce qui lui interdisait à coup sûr, l’accès à ce niveau (note minimale de 5/20 requise au DELF pour chaque compétence). J’espère qu’il a persévéré – en travaillant l’écrit – pour finalement atteindre son objectif. Nous sommes égaux devant la loi, mais inégaux devant la langue… Il convient de travailler ses points faibles pour rétablir – ou du moins limiter – ce déséquilibre naturel.  Nous serons toujours là pour vous aider !

*DELF Diplôme élémentaire de langue française (A1-A2-B1-B2)

  DALF Diplôme approfondi de langue française (C1-C2)