Selon “les chiffres 2021 du digital learning“ publiés ce printemps par l’Institut Supérieur des Technologies de la Formation (ISTF*), les formations présentielles conservent un avantage (49%) sur les formations distancielles (19%) et blended learning (32%). S’agissant de formation à distance, la classe virtuelle est plébiscitée, comme étant l’outil de tutorat le plus efficace. En fait, une fois passé l’effet de mode de ces dernières années, il semble que les formations en mode e-learning non tutoré soient amenées à disparaître, car selon cette même étude, seulement 10% des cours proposés de cette manière, vont à leur terme. Lu à l’envers, il y aurait donc 90% d’échec.
L’ISTF va plus loin en annonçant que “65% des dispositifs tutorés ont un taux de complétion de 60% “. Serait-ce à dire que 65% de 60% (NDLR, soit 39%) des dispositifs tutorés ont un taux de réussite de 39% seulement ?
La mode actuelle, consistant à proposer des cours de langue toujours plus technologiques continue à faire rage. Cependant, certaines grandes enseignes ont abandonné l’idée de cours dispensés avec leur logiciel et sans formateur. Il semble donc que le “tout technologique“ de ces dernières années ait fait long feu. Ces sociétés contournent le problème en s’adjoignant les services d’un “formateur-coach“ dans ses formations en ligne. Pourtant, il y a peu de temps, les chantres de ces méthodes modernes pensaient que les formateurs pouvaient aisément être remplacés par des ordinateurs et – à terme – par l’IA. L’arrivée de l’Intelligence artificielle reste pour le moment un leurre et ne constitue qu’un argument publicitaire car elle n’apporte rien de nouveau à l’apprenant, l’essentiel étant pour elle/lui, de mémoriser plus facilement, de manière à progresser rapidement et quelle que soit la technologie employée, Intelligence artificielle incluse.
“C’est tellement plus facile de suivre son parcours avec les conseils d’un formateur personnel qui suit et établit une feuille de route, propose des exercices écrits, qu’il corrige individuellement“.
Alors, pourquoi ce revirement à 180° ?
Présent physiquement ou à distance, le formateur** avec ou sans tableau digital, restent incontournables. En interaction permanente avec ses apprenants, il soutient inlassablement leur attention, adopte l’approche convenant le mieux à des personnes d’âges, de cultures et d’origines linguistiques différentes et imagine d’autres trucs, tels que des ancrages visuels pour soutenir l’attention de ses apprenants. Irremplaçable, vous dis-je. Dès lors, nous ne pouvons que déplorer bruyamment, le fait que la concurrence d’informaticiens venus de l’UE ou d’ailleurs, ait cassé les prix, conduisant les formateurs à un salaire horaire à peine comparable à celui d’une femme de ménage. (**masculin de simplification).
En réalité, dans les nouveaux cours de langue pilotés par un logiciel utilisant (prétendument) l’IA, c’est le logiciel qui dicte le rythme du cours à l’apprenant, le coach-formateur étant relégué au rang de support. En d’autres termes, le logiciel est l’élément dominant et le formateur, l’accessoire. S’il n’en est pas de même dans les classes virtuelles, où le coach-formateur joue un rôle actif, la prédominance du logiciel demeure et n’agit pas comme stimulant, mais au mieux comme régulateur. A voir les résultats affichés ci-dessus, on est en droit d’émettre quelques doutes quant à la performance de ces cours, où c’est finalement le logiciel qui rythme la progression de l’apprenant.
Interrogés récemment, les acheteurs d’une grande entreprise nationale dans le transport n’ont pas été en mesure de nous renseigner sur la notion de performance, ni sur le retour sur investissement de ces cours, se contentant de mettre en avant leur flexibilité.“ Les apprenants s’inscrivent pour des tranches de 6 mois et décident de leurs horaires, semaine après semaine. Si le niveau n’est pas atteint après 6 mois, ils s’inscrivent à une nouvelle tranche de cours de 6 mois“ et ainsi de suite… .
Faute d’un autre point de comparaison, le souvenir détestable laissé par les cours de langue barbants de notre jeunesse, ne doit pas laisser la place au ravissement béat, pour des cours qui vont perdurer pendant 2 à 3 ans avant de parvenir à un hypothétique résultat pour les plus persévérants d’entre nous: niveau supérieur acquis ou examen passé. Notons au passage que c’est aussi le genre de cours proposé par les supermarchés depuis des décennies. Ces cours vendus par tranches et sans but clairement défini (obligation de résultat) nous ont ainsi peu à peu habitués à l’idée qu’il fallait des années pour se familiariser à l’usage d’une nouvelle langue. Il faut pourtant se rappeler que les cours d’immersion totale d’un passé pas si lointain, permettaient d’acquérir l’essentiel d’une langue en quelques semaines seulement, ce qui n’est guère possible dans les cours à distance, l’utilisation de l’écran se limitant en général à 1 à 2 heures par séance.
Sachant que nos langues se composent d’environ 100’000 mots, dont nous ne possédons au mieux que 10 à 25%, l’apprenant n’a que faire de recettes de cuisine et autres descriptions infantiles. Il doit consacrer son temps précieux à acquérir – et plus encore à s’exercer – à la pratique courante de quelques centaines de mots qui font partie de son langage-métier, ou bien à la préparation spécifique d’un examen reconnu, pour avancer dans sa carrière.
Au cours des dernières années, les acheteurs des grandes entreprises suisses, pays par excellence de l’expertise linguistique, se sont adonnés inconsciemment à un jeu de massacres. Ne soyons pas surpris si les écoles de langues de ce pays, ne prennent même plus la peine de répondre aux appels d’offres nationaux, laissant la place aux acteurs venus de l’extérieur.
Les fournisseurs venus de l’UE bradent le prix des cours pour mieux s’approprier le marché suisse. Ainsi, en 2019, lors de l’appel d’offres d’une société alémanique, le tarif des cours publié sur Simap** était inférieur à CHF 50.- de l’heure ! Compte tenu des exigences formulées, seuls 4 fournisseurs ont répondu à cet appel d’offres national, remporté par une société d’outre-Rhin où les salaires horaires des formateurs oscillent 15 et 30 €uros. Ne soyons pas surpris si les écoles de langues suisses, ne prennent même plus la peine de répondre à ces appels d’offres bidon.
Pourtant, la nouvelle Loi sur les marchés publics de la Confédération (LMP), entrée en vigueur au 1er janvier 2021, devrait participer à une redistribution des cartes. Jusqu’à présent, les fournisseurs de l’étranger disposaient d’un avantage écrasant, car les usages suisses exigeaient le paiement de salaires convenables pour les formateurs. Désormais, la LMP exige que les marchés publics ne soient plus nécessairement attribués au plus offrant, mais au fournisseur proposant le meilleur rapport coût/performance. Ô surprise, l’on commence à parler performance dans l’apprentissage des langues. Celle-ci était depuis trop longtemps laissée aux oubliettes, la plupart des acheteurs considérant que toutes les écoles de langues se valaient, mais aussi par la faute de ces offres fracassantes de type supermarché.
Return on Training Investment (R.o.T.I.) et coûts cachés
Mais comment ces fameux acheteurs calculent-ils le prix des futurs cours de langues de leur société ? Ils se contentent simplement de comparer les tarifs horaires des uns et des autres, sans obligation de résultat. C’est un peu comme si vous deviez payer votre déplacement entre Lausanne et Zürich uniquement en choisissant meilleur le tarif horaire, sans vous assurer de terminer votre voyage à Zürich HBf.
« Ces programmes sans fin, sans but clair et précis, génèrent ainsi d’énormes coûts cachés, que sont les centaines – voire les milliers – d’heures de travail perdues par tous les collaborateurs »
Ces programmes sans fin, sans but clair et précis, génèrent ainsi d’énormes coûts cachés, que sont les centaines – voire les milliers – d’heures de travail perdues par tous les collaborateurs de l’entreprise y prenant part. Étrangement, ces surcoûts n’apparaissent dans aucune feuille EXCEL. La Confédération l’a bien compris, en modifiant la LMP (Loi sur les marchés publics), où c’est désormais le meilleur rapport coût/performance qui prime. Il semble que tous ne l’aient pas lue.
Les formations linguistiques comme tout produit lambda, devraient être évaluées en fonction de leur RoTI (Return on Training Investment). Les “nouveaux“ outils mis à notre disposition susceptibles de nous faciliter la vie, ne sont en fait que des miroirs aux alouettes. Les entreprises suisses qui continuent à acheter au moins coûtant, font les frais de ces politiques dépassées. Pendant combien de temps encore ? A suivre.
*ISTF : Institut Supérieur des Technologies de la Formation
**Simap : Système d’information sur les marchés publics en Suisse