Je n’ai jamais été bon en maths. J’ai toujours préféré la géométrie, plus concrète et représentant une forme visible. Je me représente par exemple fort bien l’intersection de deux ensembles pour des pays aussi lointains que le France et le Japon.
Une image que je pourrais placer à cette intersection imaginaire me revient en mémoire, celle d’un vieux monsieur que j’avais eu comme élève dans une classe au Japon. Lorsque je fis au premier cours, le traditionnel tour de table pour interroger les étudiants sur leur motivation et ce qui les poussait à étudier le français, quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre me parler de … « pigeonniers » … ! Pas certain d’avoir bien compris, je le fis répéter et obtint la même réponse… Si je voyais bien ce qu’était un pigeon ayant été étudiant parisien, j’avais bien du mal à comprendre ce que le logis de ce respectable volatile venait faire dans notre conversation… C’est alors que le vieil homme se lança dans un bien étrange soliloque, expliquant qu’il y avait en France bon nombre de pigeonniers ou colombiers, bien souvent de petites tours accolées à une ferme ou occupant l’aile d’un bâtiment (châteaux, manoirs, abbayes) et servant à abriter cet oiseau commun… Le vieil homme avait entrepris de « tous les visiter » au rythme d’un périple annuel en France… Je fus totalement décontenancé, ne sachant que dire sur la question…mais appréciant aussi beaucoup de sortir enfin des incontournables lieux communs « Tour Eiffel-Louvres-Mont-Saint-Michel » immanquablement cités par les étudiants de français du monde entier. J’appris ce jour-là l’existence d’une liste de pigeonniers classés monuments historiques et répertoriés par la Société Colombophile Française (association loi 1901) … je fus bien obligé d’admettre le rôle-clé joué par les pigeons voyageurs lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et jusqu’à la première Guerre mondiale… J’appris enfin l’importance de ce volatile élevé depuis l’Antiquité comme nourriture d’appoint et apprécié pour sa fiente aux prétendues vertus phytosanitaires !
Au-delà de l’anecdote, je pris ce jour-là une belle leçon de modestie et réalisant qu’il fallait bien se garder de prétendre tout connaître de son propre pays – ce que l’on a tendance à penser lorsque l’on se retrouve au centre de l’attention face à un public bienveillant – et ne jamais préjuger des raisons parfois inattendues – qui peuvent pousser nos apprenants à apprendre la langue de Molière…et respecter le « jardin secret » de tout un chacun…pigeonniers compris !
Je ne compte plus les fois où il m’a fallu « revoir mes classiques » lorsqu’au détour d’une conversation ou d’un texte étudié en classe, on vous interroge – non sans malice parfois – sur une bataille napoléonienne, un vers de Baudelaire ou la filmographie d’Éric Rohmer… Sans tout ignorer de ces grands noms du panthéon culturel français, j’ai renforcé ma conviction qu’on pouvait continuer à lire, fréquenter les cinémas, arpenter les musées et salles d’expositions pour parfaire sa culture personnelle. Constituer un bagage culturel digne de ce nom avant de se lancer à la conquête du monde !
La singularité de se retrouver enseignant à l’étranger est d’incarner aux yeux de tous et malgré soi, un référent linguistique ET culturel de la langue-cible. Sans prétention aucune, il s’agit alors pour « le petit prof » d’endosser les habits d’un ambassadeur… le temps d’un cours.
Par Nicolas Ducatel, formateur chez Supercomm Group